30/06/2016
Que se passe-t-il à Londres ?
Une démonstration par a + b
de l'inanité du "libéralisme conservateur" :
Ce qui se passe à Londres, c'est l'étalage au grand jour de « la contradiction, pour ne pas dire la duperie, sur le marché unique et l'immigration » - comme l'écrit Philippe Bernard, correspondant du Monde dans la capitale britannique. Contradiction entre les souverainistes et les ultra-libéraux, alliés durant la campagne du Out mais poursuivant des objectifs incompatibles.
Les souverainistes voulaient que le Royaume-Uni sorte de l'UE pour « reprendre la maîtrise de son destin » (ce qui impliquait notamment, selon eux, d'échapper à la libre entrée des travailleurs expatriés).
Mais les ultra-libéraux voulaient que le Royaume-Uni sorte de l'UE pour que la City soit encore plus globish que Bruxelles...
Le prochain Premier ministre aura la mission d'exécuter le plan des ultra-libéraux sans trop rompre avec Bruxelles. M. Johnson - homme de confiance de la City (donc chef de file des ultra-libéraux) - renonce donc à Downing street. Mais a-t-il jamais voulu ce poste ? Une semaine après le référendum, il jetait le masque : il déclarait que la seule chose qui compte est de rester dans le marché unique, et que des obligations européennes comme l'immigration de l'Est n'étaient donc pas un problème. Dès le vendredi 24 juin, M. Johnson s'était mis à dire que négocier n'était pas urgent ; il allait jusqu'à affirmer : « Il va sans dire que nous sommes bien mieux ensemble, forgeant une nouvelle et meilleure relation avec l'UE basée sur le libre-échange et le partenariat, plutôt que sur un système fédéral. » [1] Dans sa Lettre de la City [2], Eric Albert écrit : « Dans la foulée de Boris Johnson, tout ce que le pays compte de lobbies organisés va s'engouffrer dans la brèche. La City est la toute première concernée. »
Les souverainistes sont arnaqués – avec la complicité de leur leader, M. Farage, acquis en sous-main au camp ultra-libéral.
Commentaire de Philippe Bernard : « D'un côté les ultra-libéraux thatchériens comme Boris Johnson, pour qui l'UE est une insupportable marchine à réguler [1] et l'immigration une nécessité si l'on veut peser sur les salaires et assurer la compétitivité du pays après le Brexit. De l'autre, la grande masse des populations déshéritées du nord de l'Angleterre, précisément les victimes de l'ultra-libéralisme à la britannique, qui comprennent le ''take back control'' comme un appel au retour de la protection de l'Etat que Bruxelles empêche, notamment en imposant un afflux de travailleurs est-européens. La première catégorie rêve de transformer le Royaume-Uni en un vaste paradis fiscal dérégulé ; la seconde a la nostalgie de l'Angleterre de leur jeunesse, avant la désindustrialisation et le thatchérisme... »
M. Johnson, fils de grande famille fortunée, « n'a pas hésité à appeler ''le peuple'' à se rebeller contre l'establishment en votant pour le Brexit », constate le Guardian : aujourd'hui éclate « le grand clivage britannique entre Johnson, Gove, Farage, et les électeurs qu'ils arnaquent ».
Là est la clé de l'attitude actuelle de Johnson-Gove-Farage : s'ils sont restés en coulisses après le référendum, c'est moins par « irresponsabilité » [3] (comme le disent nos commentateurs européistes) que par simple prudence. Leur tactique est d'assumer leur arnaque libérale le plus tard possible : ils invoqueront alors la force des choses. Comme dit M. Johnson dans la caricature du Canard, « mon modèle c'est Tsipras ! »
Ce qui se passe à Londres devrait servir de leçon aux Français dupés par ce qu'on appelle le « libéralisme conservateur ». Si « conservatisme » veut dire retour à la maîtrise nationale (des frontières, du budget et – dans notre cas – de la monnaie), c'est l'antithèse du libéralisme, qui implique la soumission au global... Ce n'est pas que le « conservatisme » ait raison en tous points (la chose reste à démontrer) : c'est seulement qu'il est incompatible avec le libéralisme. Ceux qui les déclarent compatibles sont des imposteurs, qu'ils se prétendent « nationaux », ou « anarchistes de droite », ou les deux à la fois, la France de 2016 étant sous les mots comme un champ sous les mouches.
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[1] « Système fédéral » n'est qu'un élément de langage : l'UE issue de Maastricht n'est pas une fédération mais une technocratie, mue par un libéralisme autoritaire dont la seule vocation est de déréguler (non de réguler) l'activité économique afin de livrer l'espace européen aux quatre vents mondiaux. C'est fondamentalement dans cette direction que s'exerce l'euro-autoritarisme. Si les ultralibéraux londoniens veulent s'en émanciper, c'est pour des raisons de « rivalités de pôles » internes à la sphère financière ; non pour des raisons de souverainisme politique, mobile le plus étranger qui soit à l'ultralibéralisme.
[2] 29/06.
[3] M. Cameron a montré, dans toute cette affaire, une irresponsabilité pire.
11:49 Publié dans Economie- financegestion, Europe, Idées | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : brexit, libéralisme
Commentaires
PROCESSUS
> Vous êtes bien pessimiste !
Incontestablement, des personnalités comme Farage veulent redonner sa place à la politique comme sa déclaration au parlement européen le montre.
https://www.youtube.com/watch?v=cyYpPDeCgrk
Et même si ce n'est pas sincère, le OUT est un processus intrinsèquement politique et donc opposé au libéralisme et ce, au grand désespoir des intellos libéraux-libertaire : "C’est, dans tout le Royaume Uni, la revanche de ceux qui n’ont pas supporté de voir les Obama, Hollande et autres Merkel donner leur avis sur ce qu’ils s’apprêtaient à décider."(de l'inénarrable BHL)
Le OUT est un adversaire objectif du libéralisme, le tropisme européen en est un allié.
Et n'oublions par un effet indirect du OUT: relancer la question de la réunification de l'Irlande.
PH
[ PP à PH - Comme dirait Ken Loach : la lutte des classes tranchera... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Pierre Huet / | 30/06/2016
DUPLICITÉ LIBÉRALE
> Analyse implacable. Le camp du "Leave" officiel, Boris Johnson et Michael Gove en tête, a multiplié les duplicités et les approximations durant la campagne. Quelques heures avant que le Brexit ne se matérialise dans les urnes, vendredi vers 3h du matin, Boris Johnson et quelque 80 députés conservateurs rendaient publique une lettre d'allégeance à David Cameron, comme si leur opposition au premier ministre sur le référendum n'avait été que du théâtre.
De toute façon, on ne pouvait rien attendre de "BoJo", ardent avocat de l'entrée de la Turquie dans l'UE, qui avait même écrit un livre militant sur le sujet en 2007, et qui proclamait l'inverse pendant la campagne.
Le Brexit a été rendu possible non seulement grâce à l'alliance paradoxale décrite par PP des souverainistes et des libéraux, mais aussi par le renfort d'un vote populaire "rouge". Quand on observe la carte des résultats, le Sud de l'Angleterre, libéral-conservateur, a souvent été fidèle au "Remain" de David Cameron. Sans l'apport des Midlands, le "Leave" ne serait pas passé: http://revuelimite.fr/british-exit
Au regard des résultats de son parti dans ces zones travaillistes, j'ai l'impression que Nigel Farage, le chef du UKIP, a conscience de cette donne. Même si son rival (membre du même parti que lui...) Douglas Carswell, ex-tory, est un tenant de la ligne ultra-libérale.
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Écrit par : Pierre Jova / | 30/06/2016
OBJECTIFS
> Guillaume de Prémare veut revenir aux objectifs du texte fondateur du Traité de Rome : "Les Etats membres assignent pour but essentiel à leurs efforts l'amélioration constante des conditions de vie et d'emploi de leurs peuples". Soit un développement équilibré des activités économiques, une croissance respectant l'environnement, un niveau d'emploi et de protection sociale élevée, solidarité entre les états membres...
Cependant, il ne me semble pas mettre assez l'accent sur la pieuvre économiste oligarchique de cette Europe qu'on impose au peuple.
https://www.youtube.com/watch?v=YRHpjYlxyfs
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Écrit par : isabelle / | 30/06/2016
@ PP
> A condition de ne pas se tromper dans les contours des "classes".
La lutte des classes façon XXème s. n'a que trop servi à abaisser les (vraies) élites dévouées et patriotes et à faire le lit de l'hyperclasse financière qui échappe à toute contrainte car mondialisée.
PP
[ PP à PH - Les luttes de classes ne sont pas une idée (discutable). Elles sont une réalité (objective). Ce qui se trame à Londres est l'annulation du vote des milliers de chômeurs de l'Angleterre du Nord : un sujet pour le prochain Ken Loach... ]
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Écrit par : Pierre Huet / | 01/07/2016
à Pierre Huet :
> Curieux discours que celui de M. Farage au Parlement européen : il comporte effectivement des passages intéressants autour des notions d'indépendance, de nation, etc., pour ensuite partir sur des histoires de marché, des propos rassurants sur les cours de bourse...
Son apostrophe aux autres députés européens présente aussi un aspect gênant : passons sur l'accusation qui leur est faite de n'avoir jamais eu à proprement parler de métier ; mais parmi les domaines où selon M. Farage on peut exercer un vrai métier, on ne trouve que le commerce et les affaires. Quid de l'industrie, de l'artisanat, de l'agriculture, de l'enseignement (et j'en oublie) ?
Un dernier détail gênant, mais plus léger : le ton de ce discours. M. Farage semble le prononcer "tongue in cheek", illustrant un défaut paraît-il typiquement britannique :
http://punch.photoshelter.com/gallery-image/The-British-Character-Cartoons-by-Pont/G0000b9enq2GYkxQ/I0000LxtbYIEHTvs
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Écrit par : Sven Laval / | 01/07/2016
St OLIVER
> Bonne fête de saint Olivier Plunkett !
"Allant dans les montagnes et les forêts à la recherche de son peuple, il confirma 10 000 fidèles en trois mois." PÉ-RI-PHÉ-RIE ! ;-)
http://levangileauquotidien.org/main.php?language=FR&module=saintfeast&localdate=20160701&id=15581&fd=0
Alex
[ PP - Il faut la souhaiter à mon frère, lui s'appelle Olivier... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Alex / | 01/07/2016
G.B., U.S.A., U.E.
> Le revers de l'absurdité d'ultra-libéraux qui veulent quitter l'UE car celle-ci serait encore trop régulée est cette gauche (y compris véritablement contestatrice comme Ken Loach) qui veut y rester (ou s'y résigne par effet de chien de Pavlov - en réaction aux Johnson, Farage, etc.). Aux États-Unis on a même vu des gens qui appuient Bernie Sanders (le candidat le plus protectionniste qui soit) regarder de haut et faire la leçon aux anglais.*
Frédéric Lordon offre une analyse lucide de ce phénomène :
https://www.youtube.com/watch?v=4qt8lpHBDjc
Sanders lui-même a indiqué il y a quelques mois qu'il souhaitait que les Britanniques votent « Remain ». Quand on sait que les USA sont le pays occidental qui partage le moins sa souveraineté, cela ne manque pas de piquant.
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Écrit par : François Sarrazin / | 02/07/2016
LONDRES
> Cher PDP la réciproque est vraie.
En France les adversaires du Brexit ne veulent pas d'une Europe unie, indépendante et forte... Ils veulent une UE succursale des USA cogérée par la commission, la cour de justice et la BCE. Ils veulent que l'UE soit juste assez forte pour brider les souverainetés nationales !
Quand ils disent que l'UE risque une crise par la faute des anglais, ils pensent en fait qu'une vraie fédération européenne pourrait naître et devenir un vrai pôle de pouvoir avec une vraie dimension sociale ...et cela ils n'en veulent absolument pas et comptaient sur la GB pour jouer les chiens de garde ultra libéraux et atlantistes !!!
Roger
[ PP à Roger - Ce qui prouve que de Gaulle avait raison : il ne fallait pas laisser Londres (tous partis confondus) entrer dans l'Europe... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Roger / | 03/07/2016
ÎLE
> L'Angleterre est une île, rappelait de Gaulle en janvier 1963 :
http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00085/conference-de-presse-du-14-janvier-1963-sur-l-entree-de-la-grande-bretagne-dans-la-cee.html
(de la 26ème à la 47ème minute).
Ou encore : "La Grande-Bretagne est une île entourée d’eau de toutes parts" (André Siegfried).
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Écrit par : Michel de Guibert / | 04/07/2016
"SAINE DÉSUNION" ET CRÉATIVITÉ
> Le pape François interviewé à son retour d'Arménie le 26 juin 2016, à propos du Brexit :
Il commence par préciser différents cas historiques (émancipation, sécession), rappeler que pour lui l'unité est toujours supérieure au conflit, les ponts meilleurs que les murs, et la fraternité supérieure à l'inimitié ou les distances.
Puis c'est excellent, il y va carrément :
"Le pas que doit franchir l'Union européenne - et là je reviens au prix Charlemagne - est un pas de créativité et aussi de "saine désunion", entre guillemets. C'est à dire, donner plus d'indépendance, donner plus de liberté aux pays de l'Union, penser une nouvelle forme d'union, être créatifs en particulier en économie pour des emplois, car nous avons une économie liquide aujourd'hui en Europe ! En Italie, par exemple parmi les jeunes de moins de 25 ans, 40% n'ont pas de travail. Il y a donc quelque chose qui ne va pas dans une Union "massive". Mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Cherchons à remettre en état, à recréer. Parce que la recréation des choses humaines et aussi de notre personnalité, c'est un parcours qu'il faut toujours entreprendre. Un adolescent, c'est différent d'un adulte ou d'une personne âgée. Ce sont des personnes, mais pas les mêmes personnes. Elles se recréent en continu. Cela leur donne la vie, l'envie de vivre et la fécondité. Je veux le souligner : aujourd'hui, les deux paroles clés pour l'Union européenne sont créativité et fécondité. C'est un défi. C'est comme cela que je vois les choses."
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Écrit par : Isabelle Meyer / | 04/07/2016
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